INFINIMENT BLEU

EMMANUELLE AMSELLEM

12 décembre 2013 - 01 février 2014
Vernissage : 12 décembre 2013 18:30-20:30


« Le bleu n’a pas de dimension, il est hors dimension, tandis que les autres couleurs elles en ont... le bleu rappelle tout au plus la mer et le ciel, ce qu’il y a de plus abstrait dans la nature tangible et visible. » Yves Klein

Cette quête de l’immatériel, Emmanuelle Amsellem la poursuit avec une patience, une rigueur quasi monacale. Dans l’espace mesuré de son atelier suspendu entre terre et ciel que baigne la lumière du nord – la taille d’une cellule dépouillée de tout superflu – le monochrome sur chevalet vibre de ses bleus de Chartres, dialogue, s’éploie dans l’espace, se fait lumière. Pour peindre, l’artiste a dû poser la toile à même le sol, et jeter une planche en travers sur laquelle elle s’est agenouillée ; achevée, la toile s’échappera par une fente pratiquée dans le plancher – l’escalier étant trop exigu pour livrer passage. Ici, pour naître, l’œuvre dirait-on a besoin de recueillement, de se protéger au sein d’un lieu sanctuarisé, loin de l’agitation du monde, à l’abri de toute intrusion. Une façon, peut-être, d’opérer un retour sur soi, de permettre à la lumière d’exprimer l’indicible, de s’en imprégner ; plane cette “ombre de la lumière” qu’évoque Hildegarde de Bingen.
Bleus intenses, indéfinissables, d’où jaillissent des formes géométriques qui se dérobent, captent la lumière, se réinventent dans un jeu subtil d’ombre et de luminescence : une épure qui vous renvoie au dialogue muet que l’on tisse seul à seul avec le silence. « Entre le vide et le plein, les bleus se confrontent... » confie Emmanuelle Amsellem. Mais c’est en découvrant l’œuvre de Paul Signac qu’elle aura la révélation d’une approche de l’insaisissable : le ciel, l’eau, la lumière et l’infini de leurs subtiles variations. La lumière irradiant de la juxtaposition de points colorés, ceux-ci peuvent en restituer toute la luminosité dans ses nuances les plus imperceptibles. Emmanuelle considère encore ce peintre de la couleur pure comme son maître, dans la lignée d’un Claude Monet. À la Grande Chaumière, sans autre passage par les beaux-arts, elle s’initiera alors au dessin pour maîtriser le trait, se plier à la rigueur géométrique de certaines toiles où se fond, comme en transparence, une image labyrinthique, métaphore d’un voyage intérieur à l’image du labyrinthe de Chartres dont les arcanes remonteraient à la Grèce de Dédale et du Minotaure.

Travaillant au couteau, Emmanuelle se garde de vernir ses toiles afin que la lumière s’en empare, les “accroche”, les pénètre au plus intime de la matière, ultime confrontation entre geste et secret équilibre des bleus. « Les pigments sont l’intelligence de la lumière » affirme-t-elle. Émane, filtre de sa peinture une lumière venue d’ailleurs : celle des cathédrales, la lumière immatérielle des vitraux, celle de ces passeurs de lumière que deviennent parfois les peintres. Le bleu de cobalt qu’elle utilise – dont le lointain ancêtre est issu du folklore germanique et appartient à une lignée de nains facétieux – est celui que l’on retrouve dans les vitraux de Chartres, ce bleu de cobalt que Vincent van Gogh définissait comme “une couleur divine ». Fascination pour ces pigments qui sont comme l’assise du monde, la lumière perçue comme l’infini, et ne peuvent que refléter la part de mystère qui hante toute création.

L’aventure de ces bleus est singulièrement erratique, eux qui, au fil des siècles et selon l’humeur du temps, seront perçus tantôt comme des couleurs froides, tantôt comme des couleurs chaudes. Bleus encensés, bleus mal aimés, voire malmenés parfois. De barbare sous l’Empire romain – Celtes et Germains se teignaient tout le corps pour semer l’effroi dans les rangs des légions romaines – le bleu deviendra divin au Moyen Âge avec le manteau de la Vierge ; même si saint Bernard, le peu tolérant abbé de Clervaux n’a su voir en lui, et les autres couleurs d’ailleurs, que vile matière propre à pervertir les liens privilégiés que lui et ses affidés entretenaient avec Dieu. Alors qu’en terre d’islam, le bleu, lui encore, possède la vertu de repousser le diable !

Mais ces bleus au cœur du travail d’Emmanuelle Amsellem peut-être ne sont-ils qu’une étape dans l’aventure si subtile et périlleuse du monochrome : le noir est annoncé mais aussi le blanc – ce blanc si inaccessible et dont la symbolique déjoue toute logique, entre paix et angoisse –, dans le droit fil des Kasimir Malevitch et Robert Rayman.

La lumière, elle, demeure omniprésente, elle transcende la recherche que mène l’artiste dans cette voie toujours improbable où seul compterait le dépouillement, sans histoire, sans confession, sans profession de foi. Et ce n’est pas un de ses moindres paradoxes si elle rêve d’une peinture qui s’adresserait aux non-voyants qui pourraient découvrir les couleurs au simple toucher. Car si elle est faite pour celui qui la regarde, la peinture recèle d’infinies vibrations pour celui qui la “voit” au bout de ses doigts. Et si le bleu, partant, échappe souvent en nuances fugaces, et si parfois il peut aussi se montrer facétieux, en souvenir de ces lointains ancêtres que nous avons évoqués, c’est qu’entre la lumière et lui se rappelle une histoire sacrée d’intime fusion et de mystère propre à la création. « O bleu... plein de strideurs étranges,/Silences traversés des Mondes et des Anges... » annonçait Arthur Rimbaud avant de larguer les « anciens parapets » de l’Europe pour un mythique Orient.

Florent Founès

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