LE DÎNER
Galerie Dix9 - Hélène Lacharmoise
présente
Galerie Mansart hors les murs
19 mai - 18 juin, 2022
Vernissage : 21 mai, 18-22h
Le dîner
Frédérique Lecerf.
Mansart hors les murs.
Mais où est donc ni car ? Il n’en manque qu’un. The one and only: Or.
Or, l’or est d’ores et déjà, et pour toujours, avec Frédérique Lecerf.
L’artiste explore un filon qui ne tarit pas.
Alchimiste rusée, tout bois dehors, elle interroge le profane et le sacré.
Transforme. Transmue.
Orpailleuse invétérée, elle retrousse sa jupe, un ouvrage de dame, dont elle assume les coutures apparentes, passe à son tamis sensible différents courants et n’en retient que pépites, aux formes organiques, aux échappées oniriques.
Gourmande patentée, elle convie à sa table parce que l’art est délectation, avant d’être défécation. L’un n’allant pas sans l’autre.
La plasticienne performeuse multi-médium revendique en féministe son essence multi-tâches. Tout est prétexte et support à interroger l’esthétique de l’or dans l’art.
Son installation vous convie à Le Dîner.
Vous êtes plombé(e)s ? Allez y faire un tour.
Vous en ressortirez transformé(e).
Au mur des néons en ogive cernent la lumière et confèrent à la pièce aura et entrée narrative. L’aura, encore un dérivé de l’or, aureus en latin.
Une nappe, rectangle de tentatives et de travail, tendue en tenture, échappe à son usage horizontal et participe au décalage perceptif.
Un bestiaire surgit sur des cartes à gratter en papier noir/doré. Le geste incisif égratigne le papier - au sens premier de dessiner, graphein (faire des entailles), pendant l’âge d’or d’Athènes. Les présences animales, prenant volume et amplitude quand on pose sur elles un regard oblique, fixent la table des bipèdes.
Les convives auréolés par notre société de consommation seront-ils biens dans leurs assiettes ? Une cène à la Prévert ou Da Vinci, malaise ou adulation de la divinité lamée ?
La vaisselle se déploie en pièces en céramique partiellement inutilisables. Des assiettes à trous où il ne reste plus que de petits espaces pour manger. Dans l’urgence de l’économie de rassasier l’humanité, les espaces se resserrent. L’art de la table interroge les lieux de convivialité, d’interaction, d’échanges, les béances aussi. Du micro au macro. Des cuillères géantes, aux formes organiques, fleurs terrestres ou sous-marines, côtoient des masques sanitaires en céramique, tortues figées, asphyxiées par une couverture de survie à l’or fin appliquée à l’intérieur de leur carapace. L’eldorado européen n’est pas loin non plus.
Polysémie des formes et des interprétations. Décalage et ambiguïté. Frédérique Lecerf explore le côté pile en lui associant immédiatement sa face, obscure ou cachée. Les frontières sont mouvantes et incertaines et l’humour surnage, en vigie attentive. Son installation œuvre au décentré, à l’incidence du trou, au mouvement accidenté, asymétrique comme l’essence même du vivant.
Le temps de l’exposition « un dîner des mangeurs d’or » aura lieu. Un dîner monochrome, pour dandys à rebours, œuf, poulet, mayonnaise et meringues sont dorés à l’or fin 24 carats. A ce rituel performatif, instauré depuis 2005, des questions sont automatiquement rattachées : combien ça coûte ? Combien en ai-je mangé ? Quid de ma digestion ? Tout le coût de la production retourne à la terre par le compost organique. L’or obsessionnel traverse toute l’histoire de l’art et des civilisations – et ici les tubes digestifs, creuse les imaginaires, fond les raisons, magnifie autant qu’il délite.
Les sujets de conversation pour les lapins pressés de l’autre côté du miroir de Frédérique Lecerf ?
- Avez-vous jamais entendu parler de Psyché 16, un astéroïde ayant plus de valeur en métaux précieux que toutes les richesses de la Terre ? De quoi faire basculer l’économie mondiale. Les grandes puissances sont déjà de l’autre côté du miroir. Entre utopie et dystopie, il y a urgence n’est-ce pas ?
On a voulu opposer Klein et Manzoni entre l’or ésotérique des Monogolds et la merde d’artiste en boîte à prix d’or. On estimait la valeur des toiles au Quattrocento à leur quantité de lapis-lazuli et d’or : lux la lumière divine était dorée, lumen la lumière terrestre était ultra-marine. L’or chair des dieux chez les Égyptiens, révéré chez les Incas, ornant les Bouddhas, provoquant des ruées, trouant l’Amazonie, tuant hommes, plantes et bêtes par excès de mercure, justifiant esclavage, meurtres et colonisation, l’or iconique renvoie à la valeur et à la beauté des choses. Quel étalon pour quelle esthétique ?
Golden lady au fond des bois traquant les alluvions aurifères, travaillant 79AU dans sa plasticité, Frédérique Lecerf interroge le précieux, le comestible, la durabilité et l’éphémère, la médaille et son revers. Le regardant navigue entre les distorsions inhérentes à l’utilisation des matériaux et le spectaculaire festif de leurs détournements.
Pulchérie Gadmer